Jean-Baptiste Nouailhac est directeur d’Excellence Ruralités et auteur du livre « Excellence Ruralités – Des écoles pour la France périphérique », dans lequel il raconte l’ouverture de son « Cours Clovis », un collège pour les enfants de la France périphérique dans un supermarché désaffecté. Il explique sa démarche dans une tribune.
À deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, 57 % des Français sont incapables de dire quand elle aura lieu. Cette élection n’intéresse que peu. Trois ans après les gilets jaunes, beaucoup de Français ne sont plus en colère, ils sont blasés. Accablés par la lassitude qui succède aux grands efforts. En 2018, la majorité silencieuse qui n’avait jamais rien réclamé espérait, ingénue, qu’il lui suffirait de se montrer pour obtenir gain de cause.
Las. Son exposition nouvelle la laisse plus humiliée que jamais. Si le peuple se désintéresse de l’élection, c’est d’abord parce que la campagne ne répond pas aux questions fondamentales qui le hantent. Où allons-nous ? Quelle sera ma place dans la société de demain ? Continue-t-on à investir dans le décollage des métropoles et à s’accommoder de faire vivre les ruralités sous perfusion ?
La question de fond qui se pose aujourd’hui et auquel tout candidat à l’élection présidentielle devrait être en mesure de répondre est la suivante : les ruralités ont-elles vocation à développer leur propre modèle de prospérité durable ou sont-elles vouées à végéter au crochet des métropoles avant de s’éteindre doucement ?
Bien sûr, nos ruralités ont besoin de services publics et de choix économiques justes mais elles ne se relèveront durablement qu’en s’appuyant sur les talents de leurs habitants. Nous devons permettre à tous les enfants d’épanouir leurs talents pour qu’ils puissent les mettre au service de leurs territoires. Plus encore qu’ailleurs, nous devons, dans la France périphérique, investir dans l’école parce que c’est là que l’échec de notre système scolaire est le plus lourd de conséquences.
L’ascenseur scolaire ne fonctionne plus pour personne mais le dynamisme économique des métropoles offre aux enfants des grandes villes des escaliers de secours qui n’existent pas dans la France périphérique. Faute d’un marché du travail dynamique, la vie future des enfants des ruralités dépend quasi exclusivement de leur formation initiale. Très logiquement, les enfants d’ouvriers de la Creuse ont deux fois moins de chances de devenir cadres que ceux de Paris.
C’est d’abord dans la France périphérique qu’il faut relever notre système éducatif et lui permettre d’innover, pour préparer les enfants de ces territoires aux métiers du XXIe siècle. Si l’école ne se donne pas les moyens de les aider à développer leur esprit critique, leurs capacités d’analyse transverse, leur culture générale, leurs qualités relationnelles, comment conserveront-ils demain leur supériorité d’êtres humains sur les machines et les algorithmes ?
L’ÉCOLE PEUT-ELLE CHANGER ?
L’école peut-elle changer ? La campagne présidentielle est l’occasion d’une foire aux idées de réforme du système éducatif qui sont aussi intéressantes sur le papier qu’inopérantes une fois mises en œuvre. À vin nouveau, outres neuves. Pour changer l’école, il faut un cadre qui laisse les coudées franches aux directeurs et aux professeurs pour ajuster leur approche dans tous les domaines tout en ayant à rendre compte de leur action. C’est à l’extérieur de l’Éducation nationale qu’émergent aujourd’hui les solutions qui pourront demain servir à la réforme du système, qui doit se faire au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin.
Un an et demi après l’ouverture de notre collège-pilote dans l’Aisne, à La Fère (50 % de chômage des jeunes, 40 % de décrochage), l’académie d’Amiens a ouvert le premier – le seul – microcollège de lutte contre le décrochage scolaire de France à… La Fère, 3 000 habitants. Des centaines de professeurs et de jeunes pros en quête de sens ne demandent qu’à se lancer dans l’entrepreneuriat social par l’école. Ce qui les anime, et c’est tout à leur honneur, c’est de se mettre au service des enfants de milieux modestes. Aujourd’hui, faute de financements, ils doivent réserver leurs méthodes aux enfants les plus favorisés ou abandonner leur projet.
INNOVATION PÉDAGOGIQUE
Pourtant le cadre qui permettrait de faire de l’innovation pédagogique un formidable outil de lutte contre la fracture territoriale existe : c’est le contrat simple qui permet à l’État de financer les salaires des professeurs d’une école privée sans qu’ils ne deviennent des agents publics. Le contrat simple peut devenir très facilement cet incubateur de l’innovation scolaire pour tous moyennant quelques aménagements : automatisation de l’obtention du contrat pour les écoles aconfessionnelles à vocation sociale éligibles installées en zone rurale, extension aux classes de collège et non plus uniquement de primaire comme c’est le cas actuellement, calcul du taux d’encadrement au niveau de l’établissement et non au niveau de la classe pour que la nécessaire parité d’encadrement public-privé n’empêche pas l’innovation dans la forme scolaire. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle usine à gaz, juste d’adapter un outil existant pour lui permettre de servir la justice sociale et la cohésion nationale.
Nous n’avons plus le temps de continuer à nous perdre dans d’interminables querelles entre le public et le privé. Notre pays est en voie de déclassement scolaire avancé, la fracture territoriale n’a jamais été aussi profonde, nous aurons besoin de toutes les bonnes volontés pour relever ces défis. De toute urgence, nous devons libérer les énergies éducatives qui sont aujourd’hui bridées pour combattre pied à pied le déclassement de nos ruralités. C’est une question de justice vis-à-vis des enfants de ces territoires. C’est une question de survie de notre destin commun.
Source : marianne.net, “L’avenir de la France périphérique : vivre au crochet des métropoles ou sauver l’école”, publié le 27/02/2022, https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/lavenir-de-la-france-peripherique-vivre-au-crochet-des-metropoles-ou-sauver-lecole