FIGAROVOX/ENTRETIEN – À La Fère (Aisne), 40% des jeunes sont en décrochage scolaire. L’entrepreneur Jean-Baptiste Nouailhac a ouvert un collège pour les enfants de ces territoires oubliés. Il témoigne de sa démarche dans un livre, Excellence Ruralités.
Jean-Baptiste Nouailhac est un des fondateurs d’Excellence Ruralités qui a pour mission de participer à la redynamisation de la France périphérique en développant un nouveau modèle d’établissements scolaires adapté aux besoins des territoires ruraux. Il a créé le collège-pilote Cours Clovis, dans l’Aisne en 2017, suivi d’une école primaire. Aujourd’hui, il est en charge du déploiement d’Excellence Ruralités.
FIGAROVOX.- Vous racontez dans votre livre Excellence ruralités comment vous avez lancé dans une petite ville de l’Aisne Le Cours Clovis, un collège/primaire pour les enfants de la France périphérique. Pourquoi avoir voulu aller dans ces territoires qu’on qualifie souvent d’oubliés ? Quel est le sens de votre démarche ?
Jean-Baptiste NOUAILHAC. – En 2015 j’ai rencontré le géographe Christophe Guilluy. L’homme qui avait vu venir les Gilets Jaunes dix ans avant ! C’est lui qui a été le premier à parler de la France périphérique. Ayant passé mon adolescence dans les champs de betteraves autour de l’aéroport de Roissy, ce qu’il disait m’a parlé. J’ai eu envie de me mettre au service de cette jeunesse dont je me sentais proche. À l’époque je dirigeais le développement d’Espérance banlieues, un réseau d’écoles associatives visant à favoriser l’intégration et l’assimilation des enfants des Zones Urbaines Sensibles. Je me suis dit que l’entrepreneuriat social par l’école pouvait peut-être apporter aussi des réponses aux difficultés des enfants des Ruralités.
On a choisi de s’installer à La Fère, une ville de 3 000 habitants qui compte 50% de chômage des jeunes et 37% de décrochage scolaire. Un concentré des difficultés de la France périphérique pour que notre modèle soit transposable ailleurs.
Jean-Baptiste Nouailhac
On a choisi de s’installer à La Fère, une ville de 3 000 habitants qui compte 50% de chômage des jeunes et 37% de décrochage scolaire. Un concentré des difficultés de la France périphérique pour que notre modèle soit transposable ailleurs. En septembre 2017 nous avons ouvert deux classes de sixième et de cinquième pour accueillir onze élèves dans les locaux d’un ancien Lidl. Aujourd’hui l’école accueille 70 enfants du CP à la troisième et nous ouvrirons un deuxième établissement en septembre prochain en Charente.
Le Cours Clovis rétablit l’uniforme et le vouvoiement est d’usage. Le professeur est craint et respecté de ses élèves. Ses élèves l’aiment et il les aime en retour. L’exigence et la bienveillance sont les clés de la pédagogie. La punition n’est pas exclue quand elle est nécessaire. N’est-ce pas la réhabilitation des méthodes vertueuses de l’Instruction publique de la IIIe République ? Pourquoi selon vous ces méthodes «traditionnelles» sont-elles plus efficaces pour la transmission ?
En effet, nous utilisons certaines méthodes traditionnelles très vertueuses comme l’uniforme ou le vouvoiement. Cela permet de créer un cadre apaisé. Je ne dirais pas que nos élèves craignent leurs professeurs mais ils les respectent, oui, parce qu’ils les connaissent et savent qu’ils veulent leur bien, sentent qu’ils s’intéressent à eux. C’est la relation entre le professeur et l’élève y compris en dehors des cours qui permet cela. Je ne crois pas que ce soit un retour à l’école de la IIIe République. Comme nos professeurs, les instituteurs de villages connaissaient bien leurs élèves parce qu’ils vivaient avec eux mais je ne sais pas s’ils jouaient avec les enfants dans la cour de récréation, s’ils se voyaient véritablement comme des éducateurs, si les élèves se sentaient considérés individuellement. L’école de la IIIe République c’était aussi un peu la caserne avec un professeur enseignant du haut de son estrade avec une classe de 40 élèves. C’était possible à l’époque parce que le monde adulte était cohérent, les professeurs jouissaient d’une très grande autorité, la société valorisait leur savoir.
Nous devons faire se lever une génération de professeurs-éducateurs. Compétents dans leurs matières et engagés à former des adultes libres et responsables.
Jean-Baptiste Nouailhac
Aujourd’hui, nous prenons acte que ce savoir n’est plus valorisé par la société et que désormais plus personne ne fait autorité a priori. On peut le déplorer, rejeter la faute sur les parents, mais c’est un problème de société. En 2022, quels que soient les milieux sociaux, l’autorité du professeur dépend essentiellement de la relation qu’il tisse avec son élève. On ne reviendra pas à l’ «école à la papa» où le professeur était respecté en tant que représentant d’une institution, il n’y a plus d’institution. Face à cela, il y a deux choix possibles : soit on accuse les familles et la société et l’on attend que la société change toute seule, soit l’on permet à l’école et aux professeurs de jouer, en complément et en soutien des familles, le rôle d’éducateur qu’ils sont les seuls à pouvoir jouer. Nous devons nous faire à l’idée qu’à notre époque, avec l’explosion de la violence juvénile, l’éclatement des familles, les addictions aux écrans, un professeur ne peut plus n’être qu’un expert dans sa matière. Nous devons faire se lever une génération de professeurs-éducateurs. Compétents dans leurs matières et engagés à former des adultes libres et responsables.
Édouard Tétreau écrit dans la préface qu’en Finlande, la classe n’avance pas «tant que les derniers n’ont pas compris» et porte aux nues ce système. N’est-ce pas pénaliser les premiers qui demandent, eux, à avancer plus vite ? Faut-il continuer à constituer les classes par année de naissance plutôt que par niveau ?
Pour notre part nous n’avons qu’une classe par niveau aussi nous avons choisi de ne pas dépasser 15 élèves par classe pour pouvoir mettre en place un suivi individualisé de chaque enfant, pour pouvoir pousser plus loin les plus forts et ne pas lâcher les plus faibles. Mais si nous le pouvions nous ferions des classes en fonction des niveaux scolaires. À 30 élèves par classe, les classes de niveaux hétérogènes sont injustes pour tout le monde : pour les élèves les plus doués qui ne sont pas poussés à donner le meilleur d’eux-mêmes et pour les élèves les plus en difficultés qui sont mis en situation d’échec permanent.
Le meilleur moyen de revaloriser l’apprentissage est de le rendre possible avant que les élèves ne se retrouvent en situation d’échec. D’autre part, avoir des classes de « bons élèves », permettrait de favoriser l’émergence d’une élite issue des territoires, indispensable pour lutter contre la fracture territoriale.
Jean-Baptiste Nouailhac
En fin de cinquième, de nombreux élèves ayant des intelligences manuelles n’aspirent qu’à quitter l’école pour travailler de leurs mains. Comment s’étonner que 80 000 décrochent chaque année ? Aujourd’hui nous les obligeons à s’ennuyer pendant deux ans dans des classes où ils perdent confiance en eux avant de pouvoir s’orienter enfin vers la voie professionnelle qui apparaît de facto comme «la voie des cancres». Le meilleur moyen de revaloriser l’apprentissage est de le rendre possible avant que les élèves ne se retrouvent en situation d’échec. D’autre part, avoir des classes de «bons élèves», permettrait de favoriser l’émergence d’une élite issue des territoires, indispensable pour lutter contre la fracture territoriale.
Le Cours Clovis n’accueille que de très faibles effectifs afin d’offrir aux élèves des conditions d’apprentissage optimales. Sur quels critères recrutez-vous ? Refusez-vous beaucoup d’élèves ? Pensez-vous que ce système soit généralisable ?
Depuis cette année, nous commençons à devoir refuser des élèves. Nos critères de recrutement sont les suivants : uniquement des enfants du territoire (agglomération de Chauny-Tergnier-La Fère), accueil de nouveaux élèves du CP à la 4ème (pas en 3ème pour que les aînés soient familiers de l’esprit de l’école et puissent donner l’exemple), pas de sélection sur le niveau ou sur le comportement mais renvoi de l’établissement possible si l’enfant refuse les règles de l’école, premier arrivé premier servi, priorité aux fratries.
Ce système de recrutement me semble généralisable à condition que les élèves violents ou incapables d’accepter les règles de l’école puissent être envoyés dans des cadres plus stricts (type EPIDE) pour pouvoir reprendre de bonnes habitudes en dehors de leur environnement habituel et ne pas pénaliser le reste du groupe.
Le système des petits effectifs me semble également généralisable à condition de donner plus d’autonomie aux établissements. Au Cours Clovis, alors que nos professeurs sont mieux payés que dans l’Éducation nationale, le coût par élève à taille cible est de 5 700 € par élève et par an, soit 14 % de moins que le coût d’un élève de primaire dans le système public et 32 % de moins pour un collégien dans l’enseignement public. Ces questions budgétaires sont d’abord des questions de priorité. Nos tables et nos chaises ne sont pas flambant neuves, nous n’avons pas d’écrans numériques, nos professeurs surveillent les récrés, plusieurs d’entre eux enseignent deux matières et en dehors d’une secrétaire, nous n’avons pas de personnel non-enseignant. Le système éducatif français compte 220 000 personnels non-enseignants soit plus du double du Royaume-Uni et 2,5 fois plus qu’en Allemagne pour le même nombre d’élèves en scolarité obligatoire.
Pensez-vous que vos méthodes puissent avoir un écho au sein des cadres de l’Éducation nationale ? Ne faut-il pas changer l’institution de l’intérieur plutôt que de multiplier des réseaux hors contrat ?
Elles devraient ! Nos méthodes marchent, parents, enfants et professeurs en sont contents et elles coûtent moins cher : ce serait un très bon signe que l’Éducation nationale vienne voir et se demande ce qu’elle pourrait en prendre ou adapter.
La France a vraiment besoin que l’Éducation nationale change, et change en profondeur : nous constatons le désastre du niveau des élèves que nous accueillons au collège, qui peinent à lire correctement ou à poser une opération simple en Maths.
Jean-Baptiste Nouailhac
La France a vraiment besoin que l’Éducation nationale change, et change en profondeur : nous constatons le désastre du niveau des élèves que nous accueillons au collège, qui peinent à lire correctement ou à poser une opération simple en Maths. Il faut des gens pour essayer de faire changer les choses de l’intérieur mais force est de constater que jusqu’à présent ça n’a pas fonctionné. Pour ma part je crois que notre système éducatif a aussi besoin d’être stimulé de l’extérieur, par des alternatives qui innovent, qui inventent de nouvelles formes scolaires. Oui nos méthodes peuvent avoir un écho au sein des cadres de l’Éducation nationale. Ce n’est pas toujours celui que nous attendons mais à titre d’exemple, un an et demi après l’ouverture de notre collège-pilote à La Fère, l’académie d’Amiens a ouvert le premier et (à l’époque du moins) le seul micro-collège de lutte contre le décrochage de France à… La Fère, 3 000 habitants !
Au Cours Clovis vous accordez une place toute particulière aux parents d’élèves. Vous regrettez que les parents ne soient pas davantage investis et écoutés dans l’enseignement public. Quid des parents intrusifs et procéduriers que beaucoup de professeurs employés par l’Éducation nationale dénoncent ? Le professeur a-t-il le dernier mot en cas de litige ?
En ouvrant le Cours Clovis j’ai été très frappé par la défiance réciproque qui règne entre les professeurs et les familles dans les écoles publiques. Beaucoup de parents, parce qu’ils sont d’anciens mauvais élèves ou qu’ils connaissent des difficultés éducatives avec leurs enfants se sentent culpabilisés voire méprisés par l’école. Le papa d’un de mes premiers élèves a été obligé de filmer son garçon en train de se faire tabasser dans la cour pour qu’enfin l’école admette que l’enfant était harcelé. Bien sûr, certains parents peuvent se montrer très critiques, intrusifs et agressifs avec les professeurs. A contrario, beaucoup de nos professeurs ont été formés dans l’idée qu’ils sont les experts de l’éducation et que les parents n’ont pas leur mot à dire dans ce qui est enseigné à leurs enfants. En dehors des réunions de parents trimestrielles, rien n’est prévu pour que les professeurs et les parents puissent se parler.
Au Cours Clovis, nous nous efforçons de bâtir une communauté éducative organique avec les familles autour de l’école. L’année commence par un barbecue où nous faisons connaissance de manière informelle.
Jean-Baptiste Nouailhac
Au Cours Clovis, nous nous efforçons de bâtir une communauté éducative organique avec les familles autour de l’école. L’année commence par un barbecue où nous faisons connaissance de manière informelle. Plusieurs fois par semaine, les professeurs envoient des SMS aux parents pour leur dire ce qui s’est bien passé comme ce qui ne va pas. Les parents ne sont pas dans la posture de coupables convoqués quand leurs enfants font des bêtises. En cas de litige, le professeur (sauf s’il a commis une faute) est toujours soutenu par le directeur quitte à ce qu’il lui demande ensuite d’adapter telle ou telle façon de faire. Cela suppose que le directeur ait une autorité sur les professeurs sans quoi il doit assumer des choix sur lesquels il n’a aucun poids. À mon sens la tendance des principaux au «pas de vague» est la conséquence directe de leur absence d’autorité sur leurs professeurs.
Vous écrivez que la crèche que vous installez au moment de Noël est «un marqueur culturel» . Quelle place accordez-vous à la religion dans vos cours ?
Aucune. Nous ne dispensons pas d’enseignement religieux. En classe les questions religieuses sont abordées avec les outils de l’école c’est-à-dire ceux de la raison. En revanche, nous ne cherchons pas à masquer l’héritage chrétien de notre pays et du territoire. Nous parlons des vacances de Pâques et non des «vacances de Printemps», nous tirons les rois avec les élèves et les emmenons visiter des monuments religieux comme la cathédrale de Laon s’ils sont emblématiques de notre patrimoine. Nous voulons qu’ils se sentent profondément ancrés dans leur territoire, leur montrer qu’ils sont les héritiers d’une culture magnifique dont ils peuvent être fiers.
Source : lefigaro.fr, « L’Éducation nationale doit réinvestir la France périphérique », publié le 28/01/2022, https://www.lefigaro.fr/vox/societe/l-education-nationale-doit-reinvestir-la-france-peripherique-20220128