Chaque année, la carte scolaire redéfinit les contours des écoles dans chaque département. En fonction, notamment, des données démographiques, l’Éducation nationale ouvre ou ferme des postes d’enseignants, d’AESH ou encore de référents d’éducation. Une situation basée sur une logique purement comptable, qui met bien souvent les écoles en rurales en difficulté, du fait de leurs petits effectifs.
En traversant les villages du sud du Cher, il n’est pas rare de voir sur les frontons des écoles communales des banderoles faites à la main, arborant des slogans comme “pas touche à mon école” ou “nos enfants sont plus que des numéros”. C’est la période qui veut ça : comme chaque année en février, la carte scolaire est “tombée”, annonçant les fermetures et ouvertures de postes dans les écoles. Ce sont 10 classes qui doivent fermer dans le département à la rentrée prochaine. Ces décisions, qui se basent sur des projections démographiques, sont rarement reçues avec le sourire par les professeurs et les parents d’élèves : la fermeture d’une classe rime toujours avec des élèves à répartir dans d’autres classes, des professeurs mutés ailleurs. Mais parfois, la fermeture d’une classe rime aussi avec celle de l’école, purement et simplement. C’est le cas dans un village que nous avons visité : à 20 minutes de Saint-Amand-Montrond, l’école accueille dans une classe unique une dizaine d’enfants de tous les niveaux. “On se connait, on évolue tous ensemble”, résume l’enseignante qui semble veiller sur son école comme on veille sur une famille.
“L’école rurale, c’est nous !”
Il y a quelques semaines, elle et l’équipe municipale ont appris le plan de la carte scolaire et donc la potentielle fermeture de la classe, lors d’une visioconférence avec l’académie. La raison ? En l’absence de cantine, l’institutrice surveillait le déjeuner des élèves sur son temps de pause réglementaire. Une situation qui a provoqué l’ire de l’académie. “j’ai voulu faire un acte citoyen, tout simplement. C’est normal de s’entraider”, souffle-t-elle. “Cela a même permis à plusieurs parents de retrouver un emploi.” L’association des seniors a alors proposé d’assurer cette garde méridienne. Mais cela n’a pas suffit à l’académie qui continue de chercher des poux à la petite école. “En fait, ce qu’ils veulent est très simple, c’est faire des regroupements intercommunaux pour favoriser ce qu’ils appellent “l’école rurale”. Mais l’école rurale, c’est nous !” lance la professeure. L’équipe municipale est vent debout contre cette décision : “La carte scolaire, c’est une chose, mais moi je me range derrière la promesse d’Emmanuel Macron qui avait promis qu’aucune école ne fermerait sous son mandat”, explique le maire.
“Nos enfants ont droit à avoir une éducation de qualité près de chez eux”
Chez les parents d’élèves, c’est également la consternation : “nous, on a choisi de venir vivre à la campagne. C’est normal que nos enfants aient accès à une éducation de qualité près de chez eux. C’est un droit fondamental”, lâche une maman d’élève. Cette dernière, sage-femme, est arrivée dans ce territoire en désert médical en ciblant précisément ce village pour l’école communale. “Cette dame est l’exemple parfait de la manière dont tout est lié”, enchaîne Loïc Kervran, député du Cher. “Son arrivée ici était une chance pour notre territoire. Si ses enfants ne sont pas pris en charge à midi, ou si l’école est trop loin, elle ne peut pas travailler. Alors elle partira.”
Dans le Pas-de-Calais, 147 fermetures prévues par la carte scolaire
L’hémorragie des écoles rurales se propage partout en France : dans le Pas-de-Calais, le département le plus touché, 147 fermetures de classes sont prévues. À Campagnes-les-Wardrecques, petite commune proche de Saint-Omer, l’école Marcel Pagnol se voit amputée d’un professeur dans les projections de la carte scolaire pour la rentrée 2025. Un poste en moins, cela signifie une classe en moins, alors que les élèves étaient déjà répartis en 5 groupes, suite à la fermeture d’une première classe à la rentrée dernière. Une situation qui scandalise le maire, Benoît Ageorges : “On ne nous a donné aucune raison valable : le nombre de nos élèves n’a pas bougé depuis l’année dernière !” Pire encore : il y a quelques années, la commune a fait aménager une toute nouvelle classe, pour répondre aux attentes des familles qui s’installaient.
Une mobilisation restée sans réponse
L’édile dénonce une situation ubuesque, sans aucun dialogue : “on s’est mobilisés, on a fait des pétitions, j’ai écrit à l’académie, même au ministère… on n’a jamais eu aucune réponse, on n’en n’aura sans doute pas”. En attendant, Benoît Ageorges et les parents d’élèves continuent la mobilisation, espérant que cela paye. Parce que, dans les communes rurales et les petites villes, l’enjeu n’est pas que scolaire, comme le résume le maire : “une école, c’est le poumon d’un village… Sans ça, comment attirer de nouveaux habitants, et surtout, comment inciter les gens à rester… C’est un service de proximité dont nous avons fondamentalement besoin”